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Présentation du colloque

 

Nous vivons une époque du triomphe de l'esthétique. Celle-ci imprègne toute la société : des produits industriels ordinaires packagés aux hôtels à la décoration designée, des centres urbains scénographiés à la publicité comme une oeuvre d'art, du patrimoine mis en scène à l'aménagement paysagé, le monde doit être beau à contempler. Les hommes comme les objets, l'architecture comme la nature font l'objet d'une attention esthétique particulière, de modelage, d' "artialisation" et d'aménagement pour satisfaire à l'esthétisation de notre perception. Nous vivons, selon l'expression de Lipovetsky, l'âge du "capitalisme artistique" qui enendre une "esthétisation du monde" (1). L'art joue en fonction des sociétés et des époques des fonctions différentes. Dans les sociétés traditionnelles, l'art rempli une fonction rituelle et religieuse héritée du passée. Dans la société de cour à partir de la Renaissance en Europe, l'art joue une fonction politique et sociale liée à une esthétisation aristocratique. A l'âge moderne, l'art se scinde en deux visions différentes : celle d'un art qui révèle l'essence du monde et de l'être et donne accès à l'absolu, et celle plus pragmatique qui valorise le beau fonctionnel, l'art utile. Enfin, l'âge transesthétique (G. Lipovetsky) qui correspond à la société contemporaine globalisée consacre "le triomphe de l'esthétique qui se célèbre dans un monde vide d'oeuvres d'art" (2) mais dans laquelle l'esthétique est un instrument de marketing généralisé à tous les secteurs et à la vie ordinaire, avec une finalité rationnellement marchande. 

 

Dans la société contemporaine, "l'art se trouve à l'état gazeux" (3), comme une aura qui dit l'identité de l'époque et tend à être remplacé par d'autres univers esthétiques dont la Mode et le design dans un double mouvement. D'une part, celui de la volatilisation de l'art dû à la fin du régime de l'objet d'art remplacé par des attitudes et des concepts comme substituts d'oeuvres (performances, installations, happenings...). D'autre part, un mouvement de production industrielle des biens culturels et symboliques, au sein d'une société centrée sur la consommation et le commerce , qui entraîne la surproduction des oeuvres et finalement leur consumation. Celui-ci est en effet un phénomène culturel majeur qui investit toutes les activités humaines : design d'espace, d'objet, de mode, graphique, culinaire, social, relationnel... Il façonne et exprime à la fois notre façon d'être au monde, notre façon de faire le monde. Il dit les caractéristiques d'une société où l'expérience esthétique est survalorisée et s'appuie sur toute sorte de contenus et de formes qui peuvent également faire l'objet d'expériences hédonistes excitantes, plaisantes et distrayantes. 

 

Les objets techniques ont d'abord été refoulés du monde de la culture en les cantonnant dans un monde d'usage et de fonctions sans extase ni significations (4), puis à l'époque moderne les constructivistes ont fait éclore l'idée d'un beau fonctionnel. Ce courant a finalement permis me développement actuel du design qui tente de faire le lien entre la technique, la science, l'art et l'industrie (5). De cette convergence naît une nouvelle culture , qui actualise un imaginaire postmoderne et imprègne la société contemporaine. 

 

L'objet de ce colloque est de questionner la place et les fonctions du design dans la société contemporaine : 

 

  • Au regard de l'individu : comment la question des usages est-elle prise en compte dans le projet de création? Est-ce l'individu ou le consommateur qui est questionné? De quelle façon? Comment le besoin, le bien-être, le plaisir, l'imagination ou autres critères sont-ils pris en compte dans la phase de conception? L'expérience de professionnels du design est attendue pour témoigner de cette étape la plus en amont du projet. 

 

  • Au regard de la société : comment le design s'insère-t-il dans un système économique, social, culturel et symbolique?

    • Quelle reflexion porter sur les systèmes de production utilisés? Quels sont les critères de choix de ces systèmes de production? Quel impact sur les populations et l'environnement?

    • Comment le design contemporain exprime-t-il les caractéristiques de la société postmoderne? Quelles sont ses valeurs culturelles et symboliques? Quelle est la place de l'imaginaire individuel du designer et de l'imaginaire collectif dans la production du design? Etudes et réflexions scientifiques, travaux artistiques, peuvent également éclairer la problématique. 

 

Les designers se trouvent le plus souvent face à une injonction à innover. Or l'innovation apparaît à bien des égards comme une tyrannie, poussant à consommer plus et à produire plus (6). Qu'elle désigne des inventions visant à l'amélioration des services ou d'objets pour les consommateurs, ou la mise au point de méthodes de production ou de distribution garantissant plus de productivité et de rentabilité, elle reste le plus souvent liée à la conception que nous avons de la nature, indépendante de l'homme, et dans laquelle nous pouvons puiser sans fin. Dans ce contexte, quelles stratégies les designers utilisent-ils dans leur projet créatif pour répondre à cette contrainte d'innovation dans un processus de soumission, de dissidence ou de duplicité? Comment utilisent-ils les cadres économiques organisationnels et technologiques pour mener à bien leur projet? 

Ces dernières années, les expériences d'autoproduction du design se multiplient, les designers se réappropriant les différentes étapes de leur "oeuvre", dont la fabrication. Des solutions créatives et avant-gardistes se développent dont il est important que ce colloque fasse écho. 

 

  • Au regard de l'homme : quelle finalité, quelle signification le design prend-t-il? Quelle est son intention pour aujourd'hui et pour demain? Comment le designer conçoit-il sa fonction? Le regard de l'artiste peut questionner la valeur du design dans la société, exprimer globalement et profondément son rôle. 

 

La manifestation privilégiera le croisement des perspectives scientiques, artistiques et professionnelles pour cerner le plus justement possible la place et le rôle du design à l'intérieur de la société contemporaine. Aussi sont invités chercheurs, artistes, créatifs, profesionnels dans le secteur du design de mode : habillement, chaussures, accessoires, maison et décoration. Réflexion conceptuelle, résultats d'études, retour sur expérience et expérimentations sont également privilégiés dans une manifestation qui se veut à l'image du design : scientifique, professionnelle et créative. 

 

 

Le choix d'un colloque sur deux lieux géographiques : Cholet et Angers se justifie du point de vue professionnel et universitaire. Le choletais a une identité Mode marquée par une longue tradition historique du tissage au prêt-à-porter, et à l'industrie de la chaussure. Il est aujourd'hui unanimement reconnu pour son savoir-faire haut de gamme et luxe et accueille un grand nombre de façonniers. Il est aussi le siège de grandes entreprises leaders sur leur marché : groupe Zannier (IKKS, Catimini...), groupe Eram. La question du design de mode est donc légitimement développée sur le Campus de Cholet pour être au plus près des professionnels du secteur mais aussi conforter la visibilité des formations de l'Université d'Angers dans le secteur de la Mode sur le territoire. Trois licences sont en effet délocalisées sur le Campus de Cholet (2 licences professionnelles, 1 licence générale et appliquée). 

 

L'objectif visé est aussi de permettre le contact entre enseignants, professionnels, entreprises, fédérations, artistes, étudiants afin d'engager des projets, partenariats ou simplement faire avancer la réflexion et le travail des réseaux et de chacun. 

 

Du point de vue scientifique, ce colloque-fabrique doit permettre de mettre en réseau les acteurs travaillant dans le secteur du design pour participer au renforcement de l'activité scientifique et artistique. 

 

 

 

 

(1) Lipovetsky G., Serroy J., L'esthétisation du monde. Vivre à l'âge du capitalisme artistique, Paris : Gallimard, 2013, 493 p.

(2) Michaud Y., op. cit. p. 9

(3) Michaud Y., L'art à l'état gazeux. Essai sur le triomphe de l'esthétique, Paris : Stock, 2003, 204 p. 

(4) Simondon G., Du mode d'existence des objets techniques, Mayenne : Aubier, 1958

(5) Vial S., Siana 2012 : Imaginaire, technologies, sociétés. Design et quête de sens. Ecole art et design de Reims, 11 mai 2012

(6) Blay M., Peut-on échapper au syndrôme de l'innovation permanente? CNRS le journal, 31 janvier 2014

 

 

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